samedi 24 novembre 2012

Bilan de la politique étrangère d'Obama au Moyen-Orient

Octobre 2012. Le Courrier de l'Atlas.

"Obama n'a pas manqué d'expérience, mais de courage"

Interview de Fawaz Gerges, Directeur du Centre Moyen-Orient à la London School of Economics et auteur d'Obama et le Moyen-Orient (Obama and the Middle East: The end of America's moment?).




«  Obama n’a pas manqué d’expérience, mais de courage »
A un mois de l’élection présidentielle américaine, Fawaz Gerges* dresse un bilan critique de la politique étrangère conduite par Barack Obama au Moyen-Orient. Selon lui, le président américain, faute de courage, n’a pas osé remettre en cause le soutien inconditionnel des Etats-Unis à Israël et aux monarchies du Golfe.

Dans votre livre, vous dites que le Moyen-Orient n’a jamais été la priorité d’Obama. Pourquoi, dans ce cas, a-t-il passé les deux premières années de son mandat à essayer d’améliorer les relations entre les Etats-Unis et le monde musulman ?
De nombreux spécialistes ont pensé que le discours prononcé par Obama au Caire, en juin 2009, annonçait une transformation de la politique étrangère américaine au Moyen-Orient. En réalité, dès sa prise de fonction, Obama avait fait le constat que les Etats-Unis avaient pris, sous George Bush, des engagements démesurés au Moyen-Orient. Les Etats-Unis ont lancé deux guerres qui leur ont coûté plus de 5000 milliards de dollars. Or pour Obama, le futur des Etats-Unis ne se joue pas au Moyen-Orient, mais dans la région Asie-Pacifique. La Chine, l’Inde, la Corée du Sud, le Japon et l’Australie sont des partenaires de premier ordre, mais surtout des concurrents économiques redoutables. Obama savait qu’il ne pourrait faire de la région Asie-Pacifique sa priorité, sans restaurer l’image des Etats-Unis dans le monde. Il était indispensable de reconstruire la confiance et de réparer les dommages infligés par l’administration Bush. Obama a donc amorcé un processus de désengagement militaire des Etats-Unis au Moyen-Orient. Un désengagement et non d’un retrait, car les Etats-Unis ont encore de nombreux intérêts vitaux à défendre dans la région, surtout dans le Golfe persique, où sont concentrées les ressources pétrolières.

Obama avait pourtant affirmé le jour de son inauguration que la création d’un Etat palestinien était dans l’intérêt des Israéliens, des Palestiniens, des Américains et du reste du monde. Comment expliquer qu’il ne soit pas parvenu à exercer une réelle pression sur Israël ?
Ce qu’il faut comprendre, c’est que Barack Obama est avant tout un politicien. Il adhère à la pensée dominante américaine en matière de politique étrangère. Depuis la Guerre froide, Washington envisage le Moyen-Orient à travers deux prismes : Israël, vu comme le seul rempart démocratique contre le terrorisme islamiste, et les monarchies du Golfe, considérées comme indispensables à la croissance mondiale.  A aucun moment, Obama n’a dit qu’il allait transformer la politique étrangère américaine. Sa présidence montre qu’il s’inscrit dans la continuité. Dès la campagne présidentielle de 2008, il avait affirmé qu’il se positionnait dans la lignée des présidents réalistes tels John Kennedy et George Bush père. Je n’ai pas de doute quant à sa sincérité. Il aurait voulu aider les Palestiniens et les Israéliens à conclure un accord de paix. Il a essayé, il a investi du capital politique. Mais dès qu’il a s’agit de remettre en cause la pensée dominante, dès qu’il a s’agit de faire face au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, « Obama le politicien » a pris le dessus sur « Obama l’homme de paix ». La présidence est une institution prédominante dans la vie politique américaine, mais pas aussi importante qu’on ne le croit. Le Congrès et les lobbies sont des contrepouvoirs très influents capables d’exercer une incroyable pression sur le président. Lorsque Obama doit faire face ces contrepouvoirs, il devient timide. Il se dit qu’il vaut mieux ne pas conserver le capital politique pour les dossiers prioritaires, notamment sur le plan intérieur.

Obama a reçu Nétanyahou à trois reprises à la Maison Blanche pour le convaincre de geler la colonisation en Cisjordanie. A chaque fois, Netanyahou a pris le dessus. Ne pensez-vous pas que Barack Obama manquait d’expérience ?  
Obama s’est entouré d’une équipe chevronnée pour conduire la politique étrangère des Etats-Unis. Il avait à ses côtés, Hillary Clinton au Secrétariat d’Etat, Robert Gates au Secrétariat de la Défense, George Mitchell comme Envoyé spécial au Moyen-Orient et le Général Petraeus au commandement central des opérations en Irak et Afghanistan. Obama n’a pas manqué d’expérience, mais de courage. Il manquait aussi dans son administration des spécialistes du Moyen-Orient. Il s’est entouré de la même équipe diplomatique qui avait servi sous Bill Clinton. A l’instar de Dennis Ross, nombre de ces diplomates sont connus pour être des proches d’Israël. Obama n’a pas su les convaincre. Pas plus que ses alliés au sein du Parti démocrate. Lorsque Obama a humilié Netanyahou à la Maison Blanche, en mars 2010, en le faisant attendre toute une soirée, ce dernier s’est fait consolé le lendemain matin par Nancy Pelosi, la chef de file des Démocrates à la Chambre des Représentants. « Sachez qu’ici, à la Chambre, nous soutenons tous Israël », a-t-elle déclaré. Quel désaveu pour le président ! Le Congrès, c’est un fait, soutient Israël. Lorsque les Palestiniens ont demandé à l’ONU de reconnaître leur Etat, en septembre 2011, le Congrès a menacé de suspendre l’aide financière à l’Autorité palestinienne (près de 400 millions d’euros en 2010), si Obama n’opposait pas son veto. A quatorze mois des élections, Obama n’a pas eu le courage de se lancer dans un bras de fer avec le Congrès. Il a donné raison à Israël. Le manque de courage d’Obama et l’opposition institutionnelle expliquent l’échec de la politique étrangère américaine au Moyen-Orient sous Obama.

Pensez-vous que sa stratégie d’insister sur le gel de la colonisation était la bonne ?
La question de la colonisation est cruciale. L’accaparement continu des terres palestiniennes en Cisjordanie et à Jérusalemem-Est rend impossible la fondation d’un Etat palestinien viable. Obama a eu raison d’insister là-dessus. Le problème, c’est qu’il ne s’est pas préparé à ce que Nétanyahou lui dise non. Il a refusé de définir une stratégie de contre. Il n’a pas non plus exposé une vision américaine d’un accord de paix israélo-palestinien. C’est bien de dire « il faut que la colonisation cesse », mais ce n’est pas suffisant. Il aurait dû dire que la vision des Etats-Unis est d’assurer la sécurité d’Israël, seulement si des gestes sont faits pour aider les Palestiniens à fonder un petit Etat viable dans le cœur de ce que fut autrefois la Palestine. Obama est excellent lorsqu’il s’agit de prononcer des discours, mais jusqu’à présent, il s’est montré incapable d’aller au-delà de la rhétorique.

Un second mandat lui permettrait-il de changer la donne ?
J’espère que Obama prendra des risques. La promotion d’un accord de paix entre Israéliens et Palestiniens serait un moment historique de sa présidence. Il lui faudra sensibiliser le public américain sur les avantages d’un tel accord de paix, chose qu’il n’a pas faite jusqu’à présent. Il aura aussi besoin d’un groupe d’influence solide et efficace, acquis à la paix. Un tel groupe de pression lui permettrait de vaincre sa timidité et de se protéger contre la droite israélienne et ses alliés républicains américains qui l’accusent à tort de ne pas soutenir Israël. Sincèrement, je n’y crois pas trop.

Quelle approche adopterait Mitt Romney au Moyen-Orient s’il était élu ?
L’équipe de politique étrangère qui entoure Mitt Romney est l’une des pires de l’histoire des Etats-Unis. Elle est composée de néoconservateurs purs et durs tel John Bolton, ambassadeur américain à l’ONU sous George Bush. Mitt Romney nous ramènerait aux pires heures de l’après 11 septembre. Ce serait désastreux pour la politique étrangère américaine, le Moyen-Orient et la sécurité internationale. L’élection de Mitt Romney signifierait
une guerre potentielle en Iran, une escalade des hostilités entre Israéliens et Palestiniens et un retour à l’idéologie néoconservatrice. Comparée à Romney, la politique étrangère d’Obama est un vrai bol d’air frais.

Quelle évaluation peut-on faire de la politique étrangère d'Obama au Moyen-Orient pendant les révoltes arabes ? 
Les révoltes arabes ont montré que Obama n’a pas de doctrine claire pour permettre aux Etats-Unis de naviguer dans les eaux troubles de ce siècle. Jusqu’à ce que les révoltes éclatent, Obama avait adopté une approche réaliste au Moyen-Orient. Parce que la défense des intérêts des Etats-Unis était plus importante que la promotion des droits de l’homme et de l’Etat de droit au Moyen-Orient, Obama s’est gardé de critiquer les dictateurs arabes. Les révoltes arabes l’ont obligé à reconsidérer ses engagements dans la région. Au départ, il a pensé qu’il pourrait se positionner du côté des manifestants tout en conservant ses alliés traditionnels, à savoir les monarchies du Golfe. Il a laissé tomber deux alliés fidèles, Ben Ali et Moubarak. Ce choix n’était pas évident parce qu’il allait à l’encontre des exigences saoudienne et israélienne. La décision de lâcher Moubarak ne reposait pas sur un désir idéaliste de promouvoir la démocratie, mais sur une évaluation réaliste des intérêts américains dans la région. Pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis ont été incapables d’influencer le cours des événements au Moyen-Orient. Obama aurait pu profiter de ce moment pour redéfinir la politique américaine au Moyen-Orient. Il n’en a rien été. Il a continué à choyer l’Arabie Saoudite. Il a laissé l’armée saoudienne réprimer les manifestants au Bahreïn et a réservé ses critiques les plus acerbes à l’Iran et à la Syrie. De même, il a cédé aux exigences israéliennes. Après s’être prononcé, le 19 mai 2011, en faveur d’un Etat palestinien sur la base des frontières de 1967, il a affirmé trois jours plus tard devant le lobby pro-israélien AIPAC que les frontières seraient négociées par les Israéliens et les Palestiniens sur des bases différentes de 1967. Obama n’a pas de doctrine cohérente en matière de politique étrangère, c’est un fait. L’intervention en Libye est un autre exemple. Les Américains n’avaient aucun intérêt particulier dans ce pays. Obama s’est décidé à intervenir à la dernière minute, lorsqu’il a vu que Kaddafi allait massacrer les rebelles de Benghazi. Pour les Etats-Unis, déjà présents militairement sur deux fronts en terre d’Islam, cette décision n’allait pas de soi. Raison pour laquelle les Américains se sont gardé de prendre le commandement des opérations. Mais pour Obama, le jeu en valait la chandelle, dans la mesure où les Etats-Unis pouvaient soutenir directement la cause des forces progressives dans cette partie du monde. D’aucuns ont pensé que Obama allait se convertir à la doctrine interventionniste de Bill Clinton, mais les massacres en Syrie ont prouvé le contraire.
Face à la désunion de la communauté internationale, il n’a rien fait.

Vous affirmez que les Etats-Unis ne font plus la pluie et le beau temps en Egypte. Dans quelle mesure Obama peut-il compter sur les Frères musulmans ?
Obama a réussi à ajuster la politique étrangère américaine à la nouvelle réalité égyptienne. Il a réussi parce que contrairement à Mitt Romney, ce n’est pas un idéologue qui pense que les Frères musulmans incarnent le mal. Lorsque Moubarak était au pouvoir, les Etats-Unis n’avaient pas de relations avec les Frères musulmans. Obama a réalisé que ce sont des acteurs majeurs de la vie politique et sociale. A partir de là, il a amorcé un virage diplomatique. Cela prouve qu’il est réactif et dynamique. Mais, en toute franchise, il n’a pas eu le choix ! S’il avait pris une position idéologique contre les Frères musulmans, les Etats-Unis se seraient aliéné un allié incontournable et auraient mis en danger la sécurité d’Israël. Les révoltes arabes ont montré très clairement que cette région du monde est en train de changer. Les Egyptiens ont envoyé un signal clair : ils n’accepteront plus de leur gouvernement une politique étrangère qui ira à l’encontre de leur volonté, notamment en ce qui concerne le sort des Palestiniens. En rouvrant la frontière avec Gaza, en œuvrant à la réconciliation du Hamas et du Fatah et en normalisant les relations avec l’Iran, les Frères musulmans ont montré que l’Egypte avait la ferme intention de mener une politique étrangère indépendante. Le temps où l’Egypte était le gendarme des Etats-Unis est révolu. Les Etats-Unis vont devoir composer avec cette réalité.

Les Etats-Unis ont désormais moins d’influence sur chacun de leurs principaux alliés au Moyen-Orient : l’Arabie Saoudite, l’Egypte, la Turquie et Israël. Quels sont les risques pour les Etats-Unis ?
Une fois que la situation se sera apaisée au Moyen-Orient, nous allons voir de nouveaux acteurs émerger : l’Egypte sera de nouveau appelée à jouer un rôle majeur dans la région. Cela pourrait prendre dix ans, voire plus. Si les Etats-Unis continuent de soutenir Israël de façon aveugle et sourde, il y aura un clash majeur. Un clash plus important que tous ceux que les Etats-Unis ont pu connaître jusqu’à présent. Les Etats arabes n’accepteront plus les ordres des Américains et agiront avec la garantie de la souveraineté populaire.

*Fawaz Gerges est spécialiste du Moyen-Orient, professeur de relations internationales à la London School of Economics, auteur de l’ouvrage Obama et le Moyen-Orient, la fin de l’hégémonie américaine ? publié en mai dernier aux Etats-Unis.





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